Daniel Lagoutte

Donner forme et force à l’invisible et à l’indicible

L’envie de peindre me taraudait depuis l’enfance. Un désir contrarié par ma famille et mes enseignants : pour les uns, être artiste n’était pas un métier, pour les autres, le prix d’excellence de la classe devrait avoir d’autres ambitions pour son avenir.

On ne peint pas pour soi.

Une peinture est faite pour être vue et commentée, et non pour être créditée d’un jugement péremptoire du type : « c’est pas mal, c’est moche ».

Car c’est un dialogue que j’attendais entre ma peinture et son spectateur.

L’œuvre est l’enfant de l’artiste et ce dernier est fier de sa création et du regard qu’on porte sur elle.

Pour cet adolescent en quête d’avenir, la seule issue restait l’enseignement artistique et l’écriture sur l’art. Ce furent mes deux axes d’activité professionnelle.

Ma propre peinture resterait du domaine de l’intime, cachée par absence de regards, d’égards.

Mon désir de peindre se cantonna donc à l’exercice de copies au musée du Louvre. J’acquis ainsi une bonne dextérité qui me rapporta une certaine notoriété.

Je désirais ardemment étudier : l’agrégation d’arts plastiques d’abord, puis la licence et la maîtrise d’histoire de l’art et enfin le doctorat d’esthétique et sciences de l’art.

Je devins inspecteur d’Académie puis fut chargé d’une mission d’inspection générale.

Simultanément, la parution de mes réflexions sur les méthodes d’enseignement et sur l’histoire de l’art, dans diverses revues et chez plusieurs fidèles éditeurs me procura une envieuse popularité, ce qui ne manqua pas d’exciter de féroces jalousies.

Mon ouvrage Pratiquer les Arts visuels à l’école parut en de nombreuses éditions.

En cessation d’activité professionnelle, il me devenait enfin possible de me consacrer plus sereinement à l’expression artistique.

J’hésitais toujours entre écriture et peinture, l’édition me paraissant plus aisée que l’exposition, laquelle, à mon sens, restait en quelque sorte l’exposition prétentieuse de soi-même.

Daniel Pasquali fut le premier catalyseur, il me demanda une œuvre exécutée « à la manière de » Van Gogh, œuvre-clé qui ralluma mon énergie et pour laquelle je consacrai un temps passionné en documentation, voyage, rencontres, m’identifiant même à l’artiste.

Georges me convainquit d’en réaliser de personnelles qui seraient moins mangeuses d’énergie.

Une peinture vue par hasard déclencha son enthousiasme, au point qu’il écrivit un poème à son sujet.

Son insistance, sa bienveillance et sa confiance m’impressionnèrent.

Ses poèmes ouvraient mon imagination, en me suggérant toujours d’autres visions. Le désir de donner forme et couleur à « je ne sais quoi »me fascinait de plus en plus. Un autre monde était là en attente d’être. Ainsi, il m’arrivait de parcimonieusement disposer quelques taches sur une toile.

Elles suscitaient tout un monde, un être-là qu’il ne me restait plus qu’à patiemment préciser, harmoniser, briser, reconstituer.

Donner forme et force à l’invisible et à l’indicible par le visuel et l’écrit, voici à quoi nous nous consacrions.

Au fur et à mesure, poèmes et peintures se répondaient et s’auto-généraient sans fin.

C’est un fait, trouver une réponse à une mutuelle interrogation existentielle, il y a quelque chose de sacré là-dessous à laisser émerger.

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